vendredi 21 janvier 2022

Espoirs de gare



Minu
it dans une salle d’attente d'une petite gare.

Dans un coin sombre, allongé sur un carton, n’attendant aucun train, un sans-abri emmitouflé sous une minable couverture. Il rêve au temps jadis où travail, femme, enfants étaient la vivante chaleur de son environnement. Maintenant, sa seule préoccupation est de pouvoir mordre dans un quignon de pain parfumé au jambon ou au pâté de campagne.

Assise sur une courte banquette, une mère, la jolie trentaine, en instance de divorce. Elle pense à l'avenir de sa fillette endormie, un nounours défraîchi entre les bras.

Adossé mollement à un distributeur de boissons, une grosse valise aux pieds, un représentant qui fait le tour de France. Il fait partie de cette catégorie de représentants qui gagnent à peine leur vie, dormant dans des hôtels minables, prenant le train plutôt que la voiture pour des raisons de budget. Ses clients sont de petites merceries, des modestes quincailleries, comme lui, en voie d’extinction.

Accroupi sur son sac de voyage, un jeune militaire, crâne rasé, arrive en permission. Il dévisage la jeune femme qui lui fait penser à sa jeune fiancée. Il va enfin pouvoir la serrer dans ses bras.

Quelques trains passent et le tic-tac bruyant de la pendule rappelle à ces voyageurs de la nuit qu’il ne faut pas oublier le prochain et dernier départ à une heure dix.

Soudain un morceau de papier avec des dessins de couleurs attire le regard des adultes. Posée au milieu de la salle d’attente, la singulière feuille fait que le sans-abri, la jeune mère, le représentant, le militaire, ont le cœur qui se met à battre un peu plus que d’habitude. C'est un billet de cinquante euros qui nargue la quiétude du moment.

Ce n’est pas l'Eldorado, mais quand le sans-abri aperçoit ce trésor, de suite, il salive d’avance sur le nombre de casse-croûtes qu’il pourra acheter. La mère envisage d’offrir une poupée princière à sa petite, et, s'il lui reste quelques monnaies, pour elle, un modeste foulard aperçut le matin même dans une vitrine. Le représentant se dit qu’un bon restaurant améliorerait son ordinaire, qu'il se paierait une chambre d’hôtel plus luxueuse. Le militaire pense acheter quelques dessous affriolants à sa dulcinée. Mettre du piment dans leurs relations amoureuses le fait rêver.

Chacun se demande à quel moment ils ou elle se lèverait. Utiliserait-il le close combat appris durant les manœuvres pour éliminer l'ennemi? Laisserait-elle tomber sa gamine pour mieux foncer?Utiliserait-il sa grosse valise comme arme pour assommer les rivaux? Le raid devait être rapide et bien élaboré.

De longues secondes passent. Déclic général. Les protagonistes se ruent en même temps sur le billet provoquant un mouvement de l’air ambiant et, comme un malheur n’arrive jamais seul, un voyageur entre brusquement provoquant par la porte grande ouverte un violent courant d’air.

Le billet, tel un pigeon affolé, s’envole, tourbillonne dans le hall de la gare et va se coller sur la vitre d’un train qui passe.

Sidération, consternation.

Adieu casse-croûte, poupée, foulard, dessous roses, repas, chambres d’hôtel.

Il est une heure, le train attendu entre en gare.

Dix minutes plus tard, la nuit avale trois adultes et une fillette. Un sans-abri replonge dans ses rêves, au chaud sous sa couverture.

FIN


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